Jeanne, l'héroïne, est, comme vous le savez sans doute, hypocondriaque, c'est un peu la toile de fond de mon roman d'ailleurs. Voici deux petits extraits du livre qui ne font que le confirmer...
Chez l'ophtalmologue :
Je m’assieds sur la chaise qu’il me présente et lui explique ce qu’il
m’arrive :
— J’ai le disque noir de l’œil gauche qui
grossit durant environ une minute et j’ai des douleurs à ce niveau-là. (Il ne
faut pas que je paraisse trop bien maîtriser le jargon médical pour ne pas
qu’il soupçonne mon petit côté hypocondriaque.)
— On appelle
cela la pupille, dit-il en croyant m’apprendre quelque chose. Juste du côté
gauche ? (Il paraît étonné, c’est bon, il me prend au sérieux.)
— Oui, oui.
— C’est quelqu’un qui vous l’a fait
remarquer ?
Alors ça, c’est sûr, c’est une question piège. Enfin, je ne vais quand
même pas inventer une tierce personne.
— Non, c’est moi-même qui l’ai remarqué. Il se
trouve que justement, j’étais devant le miroir quand ça m’est arrivé pour la
première fois hier.
— Et sinon, auparavant, vous n’aviez jamais rien
eu à l’œil ? Aucun antécédent familial ?
— Non, rien.
— Des
vertiges ? des problèmes d’équilibre ? des douleurs aux
cervicales ? des troubles de la parole, de l’écriture ?
— Non, non, rien
du tout. (Qu’est-ce je ne supporte pas l’énumération de tous ces symptômes, à
tous les coups, je vais les développer dans les jours qui suivent.)
— Bien, dans un premier temps, je vais examiner
vos yeux, puis je ferai un fond d’œil un peu plus tard.
A la jardinerie :
— Bonjour,
j’aimerais un petit renseignement. Je suis à la recherche d’un cactus.
— Vous avez une
idée en particulier ou je vous montre ce qu’on a ?
— Non, non,
c’est quelque chose de très précis. Heu, j’aimerais un cer...cereus...heu.
Attendez une seconde, c’est un nom assez savant, je l’ai noté sur un bout de
papier.
Et je débute alors une recherche effrénée dans mon énorme sac à main sous
les yeux interdits de la vendeuse. Je sors puis rentre aussitôt ma boîte de
Spasfon, mon portemonnaie, mes Nurofen, mon gel antibactérien, un masque
chirurgical, deux ou trois tubes d’homéopathie, mes lunettes de soleil, mes
pastilles d’iode. (Ah ! C’était donc là qu’elles se cachaient
celles-là ! ça fait au moins deux semaines que je les cherche.) Je laisse
échapper un petit soupir d’auto-agacement. Pourquoi ai-je choisi un micro bout
de papier pour noter une information si capitale ? Tout en poursuivant ma pénible
recherche, j’essaie de décrire le cactus en question pour ne pas lui donner
l’impression qu’elle perd son temps.
— Il a une forme
de cierge, heu, il a une croissance rapide et peut atteindre une taille
relativement grande. (Oh, il faut que je me taise, elle va croire que je me
paye de sa tête.) Il est bleu vert, AH ça y est ! J’ai retrouvé mon
papier ! Alors... c’est ... c’est un cereus hildmannianus
peruvianus !
— Ce nom ne me
dit pas grand-chose. Mais je vais voir. Pourquoi celui-là en particulier ?
Oh non, il fallait qu’elle me pose la question... je le redoutais. Bon,
tâchons d’utiliser un maximum de conditionnel dans mes verbes. Je me mets à chuchoter :
— Ben, en fait,
il paraîtrait qu’il aurait des propriétés contre les ondes électromagnétiques.
Il les neutraliserait (Je rajoute un petit « soi-disant » pour
qu’elle ne s’imagine pas que je crois à ces idioties.) soi-disant.
— Ah bon ?
Alors ça, je n’avais jamais entendu ! A mon avis, ce sont des bêtises. Dis,
Vincent (Elle interpelle le tout jeune homme aux cheveux frisés), tu savais
qu’il existait des cactus qui neutralisent les ondes ?
A ce moment-là, je regrette amèrement d’avoir fait le déplacement jusqu’à
cette jardinerie. Une heure et quart de métro pour devenir la risée d’une
fausse baba cool et d’un jeune qui doit sans doute avoir le téléphone portable
greffé à la main et qui ne comprend donc rien à la nocivité des ondes. Je suis
vraiment maso.
Mais, contrairement aux apparences, il me prend au sérieux. Ou alors il fait
bien semblant.
— Oui, plusieurs
personnes sont déjà venues en acheter pour cette raison. Suivez-moi, je vous
montre.
Je passe devant la vendeuse avec un petit air fier que je ne peux
m’empêcher de dissimuler.